Show me the data !

Que ce soit dans les médias, sur les réseaux sociaux ou dans les mails, je lis souvent des affirmations sur tel ou tel sujet concernant la recherche et l’enseignement supérieur.

Florilège (pour partie caricatural) :

  • Le nombre de postes dans les organismes et universités s’effondre
  • Les recrutements dans l’Université et les organismes de recherche sont népotiques et contrôlés par un quarteron de mandarins omnipotents
  • Les agences de financement (ANR…) ne financent que quelques les équipes déjà installées et riches (au moins comparativement aux autres en France…)
  • La sélection à l’entrée de l’enseignement supérieur fabrique de la sélection sociale

Comme tout le monde, j’ai des préjugés sur l’une ou l’autre de ces affirmations, que je considère comme plutôt vraies, plutôt fausses ou entre les deux. Mais avec le temps, j’ai essayé de me discipliner et de mettre de coté ces préjugés, ce qui n’est pas facile. Souvent, ces affirmations sont basées sur un ressenti subjectif, issu d’une expérience personnelle ou de témoignages correspondant à des cas individuels : je connais quelqu’un qui connait quelqu’un dont le fils, la nièce, le cousin, la sœur de sa compagne… a réussi telle filière ou a été rembarrée de tel concours, avec telle ou telle interprétation de son succès ou de son échec.

Un cas individuel ne fait pas une généralité ni une statistique, et en tirer des conclusions générales est contraire à la démarche scientifique. Si je transpose à un autre domaine plus proche de mon champ de compétence, c’est la même chose que pour l’homéopathie où vous avez toujours quelqu’un qui vous affirme qu’il a pris des médicaments homéopathiques l’hiver dernier et qu’il n’a pas eu la grippe ce qui « prouve » donc que l’homéopathie, ça marche (soupir…).

Dans ce domaine comme dans celui de mon champ de recherche, je n’ai qu’un credo, emprunté à un de mes collègues biologistes américain :

« show me the data ! »

Littéralement : montrez moi les données !

Je ne crois plus à rien dans ce domaine sans avoir pris la peine de rechercher et de vérifier moi-même les données, ou d’avoir consulté des sources fiables qui se sont livrées à cette vérification pour moi et qui citent leurs données et expliquent leur méthode (je suis raisonnablement paresseux et si je peux me reposer sur quelqu’un d’autre qui partage ma démarche, c’est bien aussi) .

Ce qui m’horripile en effet, c’est le bullshit auquel nous sommes soumis, en particulier via les réseaux sociaux relayés par des collègues de bonne foi mais qui n’ont pas pris la peine de vérifier des affirmations. Souvent, c’est parce que les messages véhiculés sont conformes à leurs propres préjugés initiaux (biais de confirmation). Je suis donc devenu un maniaque de la vérification et de la nuance dans l’interprétation des données. Ca me conduit parfois à changer d’avis et à remettre en cause mes propres préjugés (un « pan sur le bec » pour moi, comme dirait le palmipède).

Je veux donc voir les données, pas seulement quand il s’agit de ma recherche, mais aussi quand il s’agit de choses qui touchent ma pratique professionnelle.

Si je reprend le premier exemple ci-dessus, celui des postes dans les organismes (ou dans les universités), souvent les analyses sont basées sur des données de recrutement, c’est à dire sur le flux entrant de nouveaux chercheurs (ou enseignants-chercheurs) qui connaissent effectivement un étiage ces dernières années. Pour autant, ce n’est que le petit bout de la lorgnette.

Je comprends bien que les recrutements, c’est ce qui intéresse au premier chef les jeunes collègues qui sont dans l’attente d’un poste permanent. Mais pour avoir une vision globale de ce qui se passe dans les organismes et les universités, il faut aussi regarder les flux sortants, afin de connaitre l’équilibre global du système. Et les flux sortants, c’est compliqué. Il y a des départs définitifs (retraite, démissions, décès…), et des départs temporaires (disponibilité, détachement dans d’autres administrations…) qui peuvent donner lieu à réintégration et ne sont souvent pas compensés par des recrutements. Même si il y a eu aussi une baisse des recrutements, ces toutes dernières années, les départs en retraite ont été moindres pour des raisons démographiques et conjoncturelles, ce qui explique pour beaucoup le niveau bas des recrutements actuels.

Je ferai une analyse quantitative sur les recrutements CNRS dans le prochain billet.

Plusieurs autres billets de ce blog seront donc consacrés à l’analyse critique de données factuelles sur différents sujets du même ordre.

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