Le télégraphe optique Chappe, l’un des premiers systèmes de communication à distance
Quelques réflexions sur l’enseignement à distance, numérique et hybride…
Retours d’expérience sur l’enseignement pendant le COVID
Avec la crise sanitaire, nous sortons de plusieurs mois de privation de liens physiques avec nos étudiants. Nous avons dû nous adapter pour continuer à enseigner, à les encourager, les accompagner, les évaluer. Eux et nous avons dû nous approprier de nouveaux outils de communication à distance. Souvent dans l’urgence, et plus ou moins dans l’improvisation.
Dans un contexte de grande incertitude sur la situation sanitaire à la rentrée, beaucoup se posent des questions sur les conséquences de cet épisode. Je pense que ça laissera une empreinte forte et perenne sur notre manière d’enseigner. Même après la crise. Encore une fois, on ne pourra plus faire rentrer le dentifrice dans le tube après qu’il en soit sorti.
On peut penser que c’est un mal, ou essayer de voir comment s’approprier ces nouvelles pratiques pour améliorer ce que nous transmettons à nos étudiants.
C’est aussi l’occasion de réfléchir sur les transformations de notre métier d’enseignant, ses contraintes actuelles et ses obligations (192h…)
Après trois billets sur l’ANR et sur la recherche, pour changer, je me propose de partager avec vous mon expérience d’enseignement à distance et comment j’espère pouvoir la valoriser pour les futures générations d’étudiants et les effets plus globaux que ça pourrait avoir.
Le numérique, un bien ou un mal ?
L’expérience que nous venons de vivre s’est imposée à nous, elle nous a obligé à faire avec. Avec des cotés négatifs et des cotés positifs. Je vous propose de partager mon analyse personnelle.
Beaucoup pensent que le numérique et le distanciel ne sont pas la panacée de l’enseignement. Je partage ce point de vue. Certains pensent même que « hybridation » et « numérique » sont des gros mots derrière lesquels se cache une volonté de marchandiser, déshumaniser et faire de la formation à bon marché, sans enseignants. Je pense le contraire.
Je ne crois pas que ce soient les outils qui définissent une politique de formation, mais c’est l’usage qu’on en fait. Ces outils existent désormais, ils se sont installés dans le paysage dans le contexte particulier que nous venons d’évoquer.
Retour d’expérience
Pendant ce dernier semestre en confinement, j’avais trois enseignements (UE, unité d’enseignement), tous en licence.
- Un cours de tronc commun de deuxième année de licence (L2), avec effectif d’environ 240 étudiants. Du classique, très old school : essentiellement des cours en amphi. J’ai fait mon dernier cours le dernier jour d’ouverture de l’université, juste avant le confinement. Par contre révisions, soutien des étudiants et contrôle des connaissance se sont faits en mode confiné et à distance.
- Un enseignement à choix de la même L2, avec un peu plus de 40 étudiants (une UE à choix est un module que les étudiants choisissent parmi une offre de 3 à 4 possibles, la promo est donc segmentée en plus petits groupes). C’est un mélange cours/TD, beaucoup plus interactif, parce que l’effectif est plus réduit, et parce que les étudiants ont fait un choix pour cette option, il y a donc un niveau de motivation plus important que je peux vérifier année après année. Il me restait deux cours/TD à faire quand on a confiné. Plus les révisions et le contrôle des connaissances final.
- Un enseignement interdisciplinaire dans la troisième année de licence (L3) d’une autre discipline. C’est un enseignement fait en binôme à deux voix/quatre mains avec un collègue d’une autre faculté. Nous avons 25 étudiants en fin de licence et tout est fait en mode cours/TD interactif et en mode projet. On donne des trucs à faire individuellement aux étudiants, et ils peuvent choisir le thème du projet parmi une offre qu’on leur propose. Ils sont prévenus longtemps à l’avance et on les accompagne lorsqu’ils en ont besoin.
Les problématiques détaillées posées par ces trois situations étaient différentes et m’ont amené à adapter la réponse. Mais la question transversale et essentielle est restée :
Comment garder le lien et les aider à se motiver dans une situation si particulière ?
Le sujet de l’évaluation des étudiants est aussi une question importante et délicate dans ce contexte compliqué. J’en parle plus bas.
Les outils d’enseignement
Pour aider mes étudiants pendant le confinement, comme beaucoup de mes collègues, j’ai utilisé une panoplie d’outils sur lesquels je vous livre mon feedback personnel. Je n’ai pas de prétention à l’universalité de mon expérience, mais je pense que ça peut quand même aider à réfléchir.
Les cours en visioconférence
Comme beaucoup de confinés, je me suis mis aux logiciels de visioconférence. On peut aussi les utiliser pour faire des cours à distance, ce que j’ai fait avec Zoom, pour ne pas le nommer. Je ne l’ai utilisé qu’une fois. Pour un petit groupe. En principe, l’intérêt c’est de faire un enseignement en mode synchrone : tout le monde est connecté en même temps à un horaire convenu, ce qui crée une forme d’incitation pour les étudiants et devrait en principe permettre de maintenir un lien avec eux.
En fait, je n’ai pas aimé. Le lien ne passe pas.
Les étudiants étaient tous en mode webcam éteinte. Pour eux, je pense que la webcam est une forme d’intrusion dans leur intimité, leurs lieux et conditions de vie, qu’ils ne veulent pas forcément partager avec l’enseignant ou avec les autres étudiants. Ce que je comprends. Du coup, il y a très peu (voire pas du tout) de participation. On parle à une rangée de rectangles noirs, micros et caméras coupés, c’est très frustrant. Aucun ressenti de si « ça passe » ou même de si il y a quelqu’un à l’autre bout. Impossible d’adapter ce qu’on raconte en fonction de la compréhension qu’en a l’auditoire. Ça enlève une grande partie de l’intérêt d’un cours en live…
Les vidéos de cours ou de TD enregistrées
C’est une forme d’enseignement asynchrone que les étudiants peuvent visionner quand ils le souhaitent. Je capture en vidéo à la fois l’écran de mon ordinateur sur lequel j’ai une présentation, ainsi que ma bobine en train de commenter/faire le cours que je met en incrustation sur les diapos. Je suis en effet un geek : j’aime avoir les mains dans le cambouis, je me suis équipé chez moi depuis plusieurs années : caméra, micro-cravate, logiciels pro… J’enregistre puis je monte les vidéos, à la manière d’un youtubeur (mon université a aussi plusieurs installations de type studio d’enregistrement où on peut faire ça sans investir soi-même, mais j’aime bien le fait de contrôler le process entièrement).
C’est un truc très chronophage, surtout si on veut le faire bien : il faut penser le contenu de ces vidéos de manière différente de ce qu’on raconte en présentiel. Ça doit être court (20 min. max) et focalisé. Pour les étudiants, rien n’est plus indigeste et rébarbatif qu’une vidéo d’un cours de 1h30 filmé du fond de l’amphi. Pour les TD, il faut aussi s’adapter au fait qu’on n’a pas de tableau où on peut écrire et donc prévoir des diapos adaptées où les corrections / calculs apparaissent à un rythme qu’ils ou elles peuvent suivre.
Ça fait maintenant trois ou quatre ans que je mets progressivement l’ensemble de mes enseignements sous forme de vidéos, publiées en ligne sur le site de l’université. J’en ai aujourd’hui plusieurs dizaines. Le confinement m’a obligé à mettre les bouchées doubles, voire triples, pour tout achever en temps et en heure. Du coup, les dernières ne sont pas tout à fait aussi « léchées » que celles que j’avais faites avant le confinement. J’en referais certainement une ou deux qui me semblent « perfectibles ».
Faire une vidéo de 15 minutes, c’est quasiment une journée de boulot
Il faut en effet :
- Définir un segment de contenu de la longueur adéquate et adapter le support pédagogique ;
- Faire l’enregistrement audio/vidéo ;
- Monter la vidéo pour couper les savonnages, bafouillages, lapsus, bruits de fond intempestifs… ;
- Faire un peu de post-processing (titrages, arrêts sur image, fondus…) ;
- Transférer le tout et mettre en ligne sur la plateforme de l’université
Quelques commentaires sur ces vidéos, indépendamment de la question du confinement :
Pour un contenu pédagogique donné, par exemple un cours en amphi de 1h30, l’équivalent tient en trois vidéos de 15 min., soit à peu près la moitié de la durée totale. Le contenu est le même, mais les vidéos sont un « extrait sec » du cours, sans redites, que les étudiants peuvent télécharger, visionner, arrêter et revisionner autant de fois qu’ils le veulent. En amphi, on répète les points importants, on prend le temps de faire un schéma au tableau pour expliquer, on raconte une anecdote, on fait le lien avec un exercice, on interpelle l’auditoire, c’est d’une nature différente et c’est donc logiquement plus long.
En conséquence, pour moi, ces vidéos ne sont pas un substitut des enseignements en présentiel que je fais toujours intégralement. C’est un complément, un appui, un outil de révision ou de préparation en amont. Les étudiants peuvent venir en cours ET regarder les vidéos (ou pas…). Pour certains qui ont des contraintes extérieures (étudiants salariés, sportifs de haut-niveau, étudiants en situation de handicap, doubles-formations…) c’est aussi un moyen de rattraper certains cours auxquels ils ne peuvent pas assister.
Contrairement aux craintes exprimées en amont par certains de mes collègues, je n’ai pas constaté d’effondrement de la présence physique des étudiants en cours, du fait de leur diffusion en vidéo en parallèle. À la marge probablement un peu, mais rien de spectaculaire.
Les outils de la plateforme de l’université (Moodle, pour les initiés) permettent d’avoir des stats de consultation des vidéos : combien de fois elles ont été visionnées, par qui, combien de minutes ont été vues. C’est un outil vraiment intéressant pour l’enseignant : on peut savoir les vidéos qui fonctionnent et celles qui font un four (on voit que les étudiants décrochent au bout de quelques minutes de visionnage). On peut aussi savoir quels sont les étudiants qui les ont téléchargées. Qui les regarde ? Malheureusement, seulement une partie des étudiants, et souvent les plus motivés/intéressés de la promo.
C’est un problème, les étudiants en difficulté ne sont pas ceux qui regardent les vidéos qui pourraient les aider à réussir…
L’un des intérêts majeurs de cette approche, c’est son coté pérenne. Une vidéo bien faite peut servir plusieurs fois, pendant plusieurs années. C’est un investissement pour l’enseignant, mais qui sera utile longtemps, à beaucoup d’étudiants, dans des situations très variées.
Les auto-tests en ligne
Les outils de formation à distance comme la plateforme Moodle existant dans la plupart des universités offrent des possibilités de mettre en place des tests en ligne. Ça peut bien sûr servir pour l’évaluation mais c’est aussi un outil de formation si on les met à disposition des étudiants pour s’entrainer et tester leur compréhension.
C’est compliqué de faire des bons tests en ligne. Et comme les vidéos, c’est très chronophage. C’est compliqué parce qu’il faut trouver des questions qui ne soient pas triviales et dont les réponses puissent être analysées directement par le système : par exemple des QCM ou des questions dont la réponse est une valeur numérique issue d’un calcul. Et dans les QCM, ce qui est compliqué à trouver, ce n’est pas la bonne réponse, mais des mauvaises réponses suffisamment plausibles, ce que les spécialistes appellent des « distracteurs » qui font hésiter l’étudiant et qui devraient le faire réfléchir.
Et il ne faut pas oublier que les étudiants font ça chez eux, avec les documents du cours sous la main. Ça ne sert pas à grand chose de poser des questions de cours, puisqu’ils peuvent ouvrir leur poly. Et trouver des questions de QCM favorisant la compréhension et mobilisant la réflexion, ça n’a rien d’évident, mais…
L’expérience du confinement m’a donné des pistes pour faire de bien meilleurs tests en ligne. J’explique ça plus bas…
Pour que ces auto-tests en ligne soient vraiment utiles, il faut aussi expliquer à l’étudiant qui a fait une mauvaise réponse à une question, pourquoi et sur quoi il s’est trompé. Le système le permet : pour chaque mauvaise réponse de QCM, on peut mettre un feedback qui explique pourquoi c’est faux.
Enfin, ces tests sont aussi très utiles pour l’enseignant, car le système permet d’avoir des statistiques sur les différentes questions des tests et de voir celles qui posent des problèmes aux étudiants. On peut ainsi voir les points du cours qui ne passent pas, pour adapter, développer, ré-expliquer.
Et comme pour les vidéos, c’est un investissement, mais c’est durable. J’ai fait des dizaines de questions de tests pendant le confinement, pour aider mes étudiants à réviser. Je vais bien évidemment les réutiliser et les améliorer pour les prochaines promos.
Le poly
Alors le poly papier, ça peut avoir l’air totalement has been. Pourtant, je fais un sondage tous les ans auprès des étudiants et c’est ce qu’ils utilisent le plus et ce qu’ils plébiscitent de facto. Le PDF du poly est d’ailleurs ce qui donne lieu au plus de « clics » sur le site de mes différents enseignements (alors même que la repro de l’université leur fournit à tous une version papier).
Ce sont de vrais cours avec un texte rédigé, pas juste des copies de mes planches powerpoint. Ils m’ont demandé plusieurs années de travail progressif pour atteindre une forme aboutie. Ils ont tous un index détaillé, des fiches-résumé à la fin de chaque chapitre, des exercices avec des corrigés. Les étudiants les trimbalent et les annotent en amphi, c’est un vrai outil de travail pour eux. Même à l’heure du numérique, le papier n’est pas mort, loin de là. J’ai aussi fait une version e-book de mes polys (c’est pas plus cher) au format EPUB pensant que ce serait utile pour eux de pouvoir les lire facilement sur un support smartphone ou tablette. Mais ce n’est pas le cas, ces e-books sont deux à trois fois moins téléchargés que les versions PDF imprimables. Je suis persuadé qu’avoir un vrai cours écrit est un complément essentiel et que dans leur processus d’apprentissage, c’est important. Et ça l’est probablement d’autant plus quand une partie de leur formation ne peut se faire en présentiel.
L’évaluation des étudiants
La contrainte essentielle induite par le confinement et plus généralement par le fait de faire une évaluation à distance, c’est qu’on ne peut pas éviter que les étudiants aient accès à toute l’information imprimée et/ou en ligne : poly du cours, manuels d’enseignement, wikipedia, google…
Il faut imaginer des nouvelles modalités d’évaluation sachant que les étudiants peuvent avoir accès à toute l’information en ligne au cours des épreuves.
Sur le fond, je pense que c’est bien, parce que c’est plus proche de la « vraie vie » et des conditions de leur futur environnement professionnel, quel qu’il soit. Apprendre à trouver, trier et utiliser une information pléthorique dans notre monde numérique est une compétence qui deviendra de plus en plus importante.
L’évaluation des étudiants a donc été un sujet vraiment compliqué cette année. Comme j’avais trois types d’enseignements avec une grande diversité d’effectifs (voir plus haut), j’ai fait le choix d’utiliser des modalités différentes, que je pensais adaptées à chacun des trois cas.
Le projet personnel avec présentation orale
Pour la vingtaine d’étudiants d’option de fin de licence, nous leur avons donné à chacun un article scientifique, en rapport avec le cours, à étudier et à présenter. Pour chaque article, ils avaient une fiche de lecture avec les points importants et leurs liens avec les concepts du cours, une liste de questions à traiter sur laquelle ils étaient prévenus qu’on allait les cuisiner, ainsi qu’un certain nombre de tâches complémentaires à effectuer (recherches en ligne, utilisation de ressources et/ou analyses dans des bases de données publiques). Chaque étudiant avait un sujet individuel qu’il a choisi dans une liste deux mois avant la soutenance. On a échangé avec eux sur le forum du cours pour les accompagner.
On leur a demandé de nous envoyer par mail une petite présentation de leur travail (8 planches max) quelques jours avant la soutenance. Puis on les a tous fait plancher en visioconférence 15 minutes chaque. Ça a été une longue journée pour nous. Mais, avec leurs présentations en visio c’était vraiment satisfaisant. Bien sûr le niveau des étudiants était variable, mais tous sauf un avaient joué le jeu et rempli le contrat. Le coté personnalisé, concret et créatif de leur projet est certainement plus stimulant qu’une question académique stéréotypée.
Malgré le confinement, leur engagement a été réel. Alors bien sûr, c’est aussi un investissement important de la part des enseignants, pour préparer les sujets, accompagner les projets et passer une demi-douzaine d’heures de visio à les faire plancher.
Mais je ne regrette pas et je le referai.
Le contrôle en ligne
Pour la grande promo de tronc commun (240 étudiants), pas question de faire un oral en ligne et autant de projets individuels, j’y aurais passé un mois entier en Zoom… J’ai pris le parti de faire une épreuve relativement classique, mais en ligne, un problème avec des questions ouvertes auxquelles les étudiants tapaient leur réponse en texte libre dans une case de l’interface. Puisqu’ils ont le poly sous les yeux, il faut concevoir un problème qui fasse appel à la réflexion et pas à des questions de cours. Dans ma discipline, c’est assez jouable, par exemple en leur faisant analyser des études expérimentales (en général un peu simplifiées, surtout en L2). L’épreuve est mise en ligne pendant une fenêtre de temps limitée au cours de laquelle ils se connectent simultanément. En cas de problème, il y avait une hotline téléphonique. Mais ça à marché sans souci.
Alors il y a deux inconvénients à cette méthode :
- Comme les questions sont ouvertes (et pas des QCM) et les réponses rédigées, pas de correction automatique possible. Il faut se palucher toutes les corrections à la main sur la plateforme de l’université, comme pour des copies papier. Mais comme pour les copies papier, ça permet d’avoir un feedback direct sur ce qu’ils ont compris (ou pas…) de ce qu’on leur a enseigné.
- Les étudiants peuvent assez facilement essayer de tricher. Par exemple en se mettant à trois ou quatre dans la même pièce pour partager en direct les réponses aux différentes questions, côte-à-côte, chacun sur son ordinateur.
Mais ça se repère… Comme les réponses sont ouvertes (c’est du texte qu’ils rédigent), elles sont par nature extrêmement variables dans leur expression. Et quand ils pompent les uns sur les autres, on voit rapidement des ressemblances de formulation improbables (la même ânerie, les mêmes mots, la même construction de phrase…). C’est d’autant plus facile que comme tout est numérisé (on peut exporter leurs réponses sous forme d’un fichier CSV, Excel ou texte), un simple recours à la fonction « rechercher » permet d’identifier très vite les « petits malins » de manière automatisée, ce qui est beaucoup plus facile que quand c’est dispersé dans 240 copies papier dans lesquelles il faut farfouiller à la main…
J’en ai gaulé une demi-douzaine qui se sont livrés à ça. Mais globalement l’épreuve s’est bien passée et pense que j’utiliserai cette modalité à nouveau, par exemple pour faire du contrôle continu. J’y vois aussi un autre intérêt majeur que je discute plus bas (les leçons de l’expérience).
Le QCM d’évaluation
Dans la troisième évaluation à laquelle j’ai participé, nous avons mis en place un système d’évaluation par QCM en mode synchrone : Tous les étudiants se connectent simultanément dans un créneau temporel imposé pendant lequel le QCM est ouvert. Nous avons fait comme ça parce que l’enseignement était partagé entre plusieurs enseignants et que c’était un moyen simple d’harmoniser nos modalités d’évaluation dans une épreuve unique. On était aussi pris par le temps : il a fallu tout faire dans un délai très court et je dois admettre que c’était aussi une solution de facilité.
L’avantage de cette méthode est double, la correction est automatique (c’est la plateforme qui comptabilise les notes de chaque étudiant) et le QCM peut être réutilisé ensuite pour faire des auto-tests en ligne pour les promos suivantes. Mais je lui trouve plusieurs gros inconvénients : le format des questions est réducteur et on n’a aucun moyen de dépister directement une éventuelle « triche » collective que j’évoquais plus haut (et qui se produit, on le voit).
Je ne referai pas d’évaluation finale par QCM si je peux faire autrement.
Les leçons de l’expérience
La déformation professionnelle de mon esprit fait que j’ai envie d’appliquer la méthode scientifique à mes observations sur cette période particulière, avec un regard à la fois critique et constructif :
Les limites de l’enseignement à distance et les pistes pour les dépasser
L’enseignement à distance nécessite un véritable engagement des étudiants et trouver la motivation suffisante est difficile pour eux. On le voit par exemple dans les statistiques de consultation des ressources en ligne. Le train-train d’un emploi du temps « à la fac » et le rythme qu’impose la présence aux cours et aux TD créent un cadre qu’il est difficile de reproduire quand on est tout seul chez soi. Et pour certains étudiants, le travail en groupe est aussi un moyen de socialisation et de motivation qui disparaît quand on est à distance.
Il existe des pistes pour essayer de reconstruire à distance un cadre et pour aider les étudiants à structurer leur apprentissage : exercices et tâches à valider (visionnage de vidéos, QCM, devoirs) avec des itinéraires pédagogiques, mais ça demande une véritable scénarisation construite. À ma connaissance, peu d’équipes enseignantes ont été en capacité de mettre en place ce type d’outils élaborés dans le contexte d’urgence dans lequel nous avons travaillé. Ce qui ne veut pas dire que c’est impossible, surtout maintenant que pas mal de « briques de base » ont été construites et qu’une partie des enseignants a du se frotter à ces nouveaux outils, même si ça a parfois été sous la contrainte.
Il sera important d’expérimenter et de tester ces stratégies. En particulier pour ce qui concerne les étudiants les plus en difficulté pour qui la barrière numérique est probablement aussi la plus grande.
Valoriser les acquis et les données
Ainsi qu’évoqué à plusieurs reprises plus haut, une grande partie des ressources qui ont été produites (QCM, vidéos, polys en ligne, e-books) seront réutilisables et/ou améliorables. C’est un investissement qui est perenne. Un matériau qui sera là dans les années qui viennent, bien après le COVID, qu’on pourra continuer à utiliser et à développer.
Les compétences aussi ont considérablement progressé. Il y a à peine un an, dans mon université, les enseignants qui exploitaient réellement les possibilités de l’enseignement numérique et/ou à distance de manière très active étaient une petite minorité : des geeks comme moi, des passionnés, des militants. Aujourd’hui, toute mon université s’est mise à l’heure des cours en visio, tous les cours du dernier semestre ont donné lieu à plus ou moins de numérique et tout (sauf la PACES) été évalué à distance, distanciation oblige. Il y a bien sûr des résistances, mais la connaissance et l’appropriation de ces outils dépasse désormais le cadre d’un petit cercle d’initiés.
Enfin, il y a les données que produit l’enseignement numérique. Je l’ai évoqué plus haut en parlant des auto-tests en ligne ou des statistiques de consultation des vidéos. Grâce à ces données, on peut se rendre compte de la difficulté, de la qualité et de l’efficacité des différentes ressources pour les faire évoluer et les améliorer. Dans certains cas, on peut aussi s’en servir pour créer de nouvelles ressources de meilleure qualité.
J’ai par exemple le projet d’utiliser cet été la matière très riche que sont les réponses au contrôle en ligne que j’ai proposé à mes 240 étudiants de tronc commun de licence. Ainsi qu’évoqué plus haut, on peut en effet exporter l’ensemble des réponses ouvertes dans un format numérique de type Excel ou CSV (comma separated values). Je l’ai fait. Pour chaque question, j’ai donc un échantillon des mauvaises réponses qui traduisent les confusions et incompréhensions qui persistent dans l’esprit de mes étudiants à l’issue de mon cours. J’en vois deux utilisations possibles pour les prochaines générations d’étudiants :
- Sur un plan général : modifier mon enseignement et les ressources associées (poly, diapos, vidéos) pour insister sur les points difficiles que j’ai ainsi identifiés.
- Spécifiquement : Transformer ce contrôle en ligne en auto-test d’entrainement sur un mode QCM. Les « distracteurs » (mauvaises réponses crédibles) sont tous trouvés : ce sont les incompréhensions/confusions repérées chez mes étudiants de cette année. En expliquant pourquoi ces réponses sont erronées dans le feedback du QCM interactif, ça devrait améliorer la maîtrise des concepts importants dans l’avenir.
L’efficacité d’un tel QCM « adapté aux étudiants » devrait être bien meilleure en termes de formation.
Favoriser les apprentissages projet, constructif et créatifs
C’est considérablement plus chronophage, mais chaque fois que c’est possible (effectifs plus petits, fin de cycle le licence), on voit que les modes d’apprentissage actif et d’évaluation qui favorisent l’engagement des étudiants (par exemple, un projet individuel) donnent de meilleurs résultats, y compris dans l’enseignement à distance.
D’autre part, ça fait pratiquer et développer d’autres compétences aux étudiants : expression orale, analyse critique, mise en forme des idées, qui leur seront toutes utiles dans leur vie professionnelle, quelle qu’elle soit. J’ai bien conscience d’enfoncer une porte ouverte sur cette question, mais la crise COVID est une manière de se rappeler combien l’Université en général a de vraies marges de progression sur la formation de ses étudiantes et de ses étudiants dans ces domaines.
Repenser le métier d’enseignant et son évaluation
Tout ça m’amène à mon dernier point. Un point essentiel et qui n’est pas totalement dans les mains des universitaires, mais est aussi lié à notre statut. C’est la question de » qu’est ce que le métier d’enseignant et comment sont définies les obligations associées ? »
La plupart des activités « chronophages » que j’ai mentionnées dans ce billet : production de ressources en ligne, d’outils d’auto-évaluation… est aujourd’hui quasiment bénévole. Je m’explique : elles comptent en principe pour des prunes dans notre obligation de service statutaire de 192h équivalent TD .
Petit aparté explicatif pour les non-universitaires, le service statutaire, c’est le nombre minimum d’heures d’enseignement présentiel devant les étudiants qu’on doit faire. Ce chiffre est de 192h/an pour un enseignant-chercheur, ce qui correspond en théorie à 768h de travail (on considère qu’il faut 3h de préparation, réunions pédagogiques, corrections, jury… pour 1h de cours), le reste étant consacré à la recherche. C’est d’ailleurs un truc qui m’a toujours laissé pantois :
Nous avons une obligation de moyens, pas une obligation de résultat…
En d’autres termes, si je caricature, le système se contrefiche de savoir si les cours sont bien faits, utiles aux étudiants, formateurs, pédagogiques… Tout ce qu’on nous demande, c’est 192h de présence en amphi/salle de TD.
Pourtant, produire toutes ces nouvelles formes de ressources numériques et pédagogiques, c’est un gros investissement, très utile aux étudiants, indispensable même pour quelques uns d’entre eux qui pour diverses raisons ne peuvent suivre tous les cours (régimes spéciaux d’études…). À mon avis, c’est en partie pour cette raison que seule une minorité d’enseignants s’était investie de manière importante dans ces outils, par faute d’une reconnaissance substantielle de ce travail pourtant réel et très utile. Le COVID et le confinement ont changé ça en partie, par la contrainte.
Aujourd’hui il me semble y avoir deux trajectoires possibles : Soit on revient à l’état antérieur, on oublie l’enseignement à distance et les outils numériques. On refait du bon vieux amphis+TD à l’ancienne, à la dose de 192h minimum par enseignant, avec un bon vieux partiel à la fin. Soit on s’approprie ces nouveaux outils et on essaie de faire bouger les lignes pour faire reconnaître ces nouvelles modalités d’enseignement, à coté et en complément des modalités classiques dont je ne méconnais pas l’importance, au contraire. Ça veut dire accepter de discuter de ce que signifie un « service d’enseignement » et des sacro-saintes 192h…
Pour moi, la première solution est intenable, comme je l’ai dit au début, on ne fera pas rentrer le dentifrice dans le tube. Les mentalités bougent, les étudiants vont pousser pour obtenir des évolutions durables. Sinon, les plus aisés parmi eux, les plus favorisés, les plus informés risquent de voter avec leurs pieds et rejoindront des établissements sélectifs, publics et privés, souvent beaucoup plus chers qui leur offriront ces outils et cette qualité de formation.
Alors le sujet est sur la table…