Recrutements CNRS

 

Les effectifs de chercheurs des organismes (CNRS, INSERM…) sont en chute ces dernières années.

J’ai lu ça à plusieurs reprises sur Twitter.

Est-il vrai qu’il y a une hémorragie de chercheurs au CNRS (ou à l’INSERM…) ? Si c’est vrai quelle est son ampleur réelle ?

Ainsi que j’ai pu le dire dans un précédent billet, j’essaie de prendre ce genre d’affirmation avec une pincée de sel et de regarder les données objectives avant de me faire une opinion. On va regarder ce qu’il en est pour le CNRS.

De 409 postes de chercheurs ouverts au concours CNRS en 2010, on est en effet descendu à un chiffre tournant autour de 300 recrutements ces dernières années (297 en 2017), soit une perte d’environ 100 postes par an.

100 postes par an, ça parait effectivement important (pour mémoire, le CNRS emploie un peu plus 11 000 chercheurs en tout)

Si vous êtes attentifs, vous aurez toutefois noté le glissement sémantique : on est parti des effectifs, pour ensuite parler de recrutements. Et ce n’est pas la même chose. La variation nette des effectifs de l’organisme est une balance entre les recrutements d’un côté, et les départs, de l’autre. Or les recrutements sont bien plus visibles que les départs, ne serait-ce que parce qu’ils focalisent l’attention des jeunes chercheurs dans l’attente d’un poste CNRS. Tous les ans le CNRS communique d’ailleurs publiquement sur le nombre de ces recrutements, ce qui est logique dans le cadre d’une procédure de concours. Il ne communique en revanche pas directement sur le nombre de départs.

On peut cependant trouver l’info. Elle est publiée chaque année dans le bilan social du CNRS, qui est disponible sur son site. C’est un document touffu, il faut chausser ses bésicles et s’équiper d’une lampe frontale, mais c’est très riche. Plus de 220 tableaux de données sur tout les sujets RH, rémunérations, primes. Il y en a un qui m’a particulièrement intéressé et qui s’intitule « Entrées et sorties« . Comme son nom l’indique, il décrit les flux entrants et sortants de personnels au cours de l’année. Précisément ce qui m’intéresse.

Mais à la lecture du tableau ça se complique : il y a des entrées et des sorties définitives (concours, départs en retraite…) et aussi des entrées et sorties temporaires (détachements, disponibilité, congé parental…). Les effectifs globaux annoncés par le CNRS tiennent compte de tous ces flux.

J’assume cependant le parti pris de ne regarder que les flux de mouvements définitifs, les autres étant plutôt des fluctuations conjoncturelles. Si on fait le bilan « entrants − sortants », on s’aperçoit qu’en six ans, entre 2010 et 2015 inclus, le CNRS a effectivement perdu des emplois chercheurs, mais seulement environ  30 par an, ce qui est sensiblement moins que la chute de 100 recrutements évoquée en introduction (ci-dessous). C’est entre autres parce que le nombre de sortants a aussi diminué dans le même temps. Le CNRS a donc limité les dégâts sur l’emploi chercheur ces dernières années.

Mais ce qui est intéressant c’est que le bilan social permet aussi d’analyser les flux entrants et sortants d’ingénieurs & techniciens (IT). Et là, c’est spectaculaire. Le CNRS a perdu plus de 100 emplois IT par an sur ces 6 ans (pour un effectif total de 13 500, à peine plus élevé que celui des chercheurs).

Ca se voit aussi d’une autre manière si on regarde une donnée également présentée dans ce très intéressant bilan social : l’âge moyen des personnels.

Entre 2010 et 2015, l’âge moyen de la population des chercheurs du CNRS a augmenté de 7 mois (47 ans et 7 mois en 2015), tandis que celui des IT  a augmenté de 16 mois (45 et 10 mois en 2015). En d’autres termes, le renouvellement réduit des ingénieurs et techniciens accélère le vieillissement de leur population au sein de l’organisme, comparativement à celui des chercheurs.

Si je me risque à une conclusion hâtive, je dirais que, sciemment ou non, le CNRS a privilégié l’emploi chercheur au détriment de l’emploi IT au cours des dernières années. La vraie conclusion de l’analyse des données est donc un peu différente des prémices de ce billet :

Plutôt que ceux des chercheurs, ce sont les effectifs des ingénieurs et techniciens du CNRS qui sont en chute ces dernières années.

Ceci ne sera pas sans conséquences de long terme sur le savoir-faire et les compétences techniques des laboratoires, en particulier dans les sciences expérimentales.